Margot Vulliez : la robotique au service de l'humain
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Mis à jour le 20/06/2025
Peux-tu nous retracer ton parcours ?
Au lycée j’ai suivi un parcours scientifique spécialisé en sciences de l’ingénieur. Ensuite j’ai intégré une classe préparatoire physique et technologie. Enfin, j’ai finalisé mon parcours universitaire en rejoignant l’Ecole Normale Supérieure Cachan (aujourd’hui devenue l’ENS Paris - Saclay) où j’ai suivi une formation en génie mécanique. J’avais déjà l’ambition de me spécialiser dans les métiers de l’enseignement et de la recherche.
Après ça j’ai réalisé ma thèse sur la conception et l'optimisation d'un nouveau dispositif haptique basé sur une architecture parallèle, entre Poitiers et Stanford en Californie. J’ai poursuivi ces travaux en postdoctorat à Stanford pendant un an. À mon retour j’ai pris un poste de maîtresse de conférences dans un laboratoire de robotique et de biomécanique au sein de l’équipe RoBioSS et j’ai donné des cours à l’IUT de Poitiers. J’y suis restée pendant trois ans puis j’ai rejoint Inria en 2023.
Rejoindre le monde de la recherche a toujours été une évidence au cours de ton parcours ?
Dès le lycée, j’avais vraiment envie de me tourner vers la recherche ou l'enseignement. Je cherchais un métier qui me permettrait de me creuser la tête, loin du système très productiviste. Je souhaitais m'engager dans un domaine où l'on peut réfléchir, sans forcément être contraint de créer un produit. J'aime l'idée de pouvoir explorer différentes pistes et la recherche offre justement cette liberté.
Est-ce que la recherche est pour toi une passion ?
Je dirais avant tout que c'est un métier passionnant, avec des thématiques vraiment chouettes. J’apprécié aussi l’idée de pouvoir passer d'un sujet à l'autre, surtout en robotique où nos travaux couvrent des domaines très variés, c’est très agréable. Je ne le qualifierais pas de passion, mais c'est un métier que j'adore, oui !
Peux-tu nous parler plus précisément des travaux de recherche d’Auctus et de ton poste actuel ?
Auctus est une toute petite équipe. Elle est composée de quatre chercheurs, un ingénieur de recherche du service expérimentation et développement qui est rattaché à l’équipe, une dizaine de stagiaires et des étudiantes et étudiants en doctorat et en postdoctorat. Nous sommes un petit collectif, c’est très facile de bien s’entendre, de travailler tous ensemble, et ça nous permet de nous mettre facilement d’accord sur des valeurs communes.
L’objectif général de l'équipe est de concevoir des systèmes d'assistance robotisés ou des robots collaboratifs pour les humains au travail, en particulier dans le secteur industriel. Ce focus sur l’humain vient du constat que beaucoup de travailleurs et travailleuses ont des conditions de travail très pénibles. Il est temps de réfléchir à une meilleure façon de les assister pour les soulager !
La première étape pour bien assister l’humain est de mieux le comprendre. Cette question nous amène à un premier axe de recherche, liant sciences cognitives et biomécanique, pour modéliser et prédire le comportement humain par une analyse de ses gestes, ses postures, et ses mouvements.
Cette compréhension nous permet de proposer des stratégies d’assistance et de couplage du système robotique avec l’humain. Ce second axe de recherche vise à optimiser les interactions et la collaboration entre l’humain et le robot, c’est-à-dire l’action et la perception qu’ils partageront. Le troisième axe de l’équipe est la conception de ces robots d’assistance. C’est à la fois la conception mécatronique de nouvelles architectures de robots, mieux adaptées à l’humain ou à la tâche à réaliser, et la conception de nouvelles lois de commande qui optimise le comportement du robot, en termes de performance, de sécurité, ou de confort de l’humain par exemple.
Nos locaux se trouvent au sein de l’Ecole nationale supérieure de cognitique (ENSC) mais nous sommes régulièrement amenés à venir chez Inria et notamment dans les salles expérimentales pour mener à bien des expérimentations avec des participants volontaires dans un cadre neutre et calme, ce que permettent ces salles. La validation expérimentale de chacun de nos développements, sur des robots réels et avec des sujets humains, est une étape essentielle dans nos recherches.
Est-ce que c’était une suite logique pour toi d’intégrer un centre de recherche tel qu’Inria ? Était-ce un souhait de ta part, où est-ce une opportunité qui s’est offerte à toi ?
C’est avant tout une opportunité et des rencontres. Je voulais évoluer dans le milieu de la recherche et de l’enseignement et le poste de maîtresse de conférences correspondait bien à ce que je cherchais. J’ai rencontré l’équipe Auctus avec laquelle j’ai très vite accroché. Nous avons une très bonne entente, tant sur le plan scientifique qu'humain. Cette rencontre m’a permis de devenir chargée de recherche, ce qui m’offre de meilleures conditions pour mener à bien mes travaux.
En ce moment nous proposons, par exemple, de nouvelles approches de commande partagée pour la téléopération, et c’est une thématique qui rassemble plusieurs membres de l’équipe. Travailler de façon collective est très inspirant, chacun apporte sa pierre à l’édifice et ce mode de fonctionnement me plaît beaucoup.
En téléopération, l’humain pilote le robot à distance pour réaliser une tâche, grâce à une interface et souvent avec des retours d’information (visuels et haptiques) lui permettant de percevoir l’environnement distant. C’est une modalité d’interaction très intéressante car elle permet à l’humain de faire son activité en toute sécurité et d’utiliser les capacités physiques du robot sur site.
Mais la distance, les mouvements limités par l’interface de téléopération, etc. complexifient la réalisation de la tâche et limitent l’utilisation de la téléopération. Nos travaux cherchent à repenser l’utilisation du robot en téléopération, non plus comme un outil piloté par l’humain mais plutôt comme un agent collaboratif capable de l’assister. Cette assistance se traduit par des lois de commande qui peuvent guider l’humain dans ses gestes par des retours de forces, ou ajuster le mouvement du robot en exploitant son autonomie fonctionnelle. C’est un véritable challenge et je trouve cela très stimulant !
De plus, je reste attachée à l’enseignement, que je trouve très enrichissant et je continue de donner quelques cours à l’IUT de Bordeaux. C’est une posture différente qui te pousse à te remettre en question et à repenser ta manière de transmettre. Pour moi, l’éducation est essentielle pour réduire le fossé des inégalités.
Quel impact aimerais-tu que ton équipe ait dans le milieu de la recherche ?
Notre équipe concentre ses recherches sur l'amélioration des conditions de travail humain, en particulier dans des contextes industriels, avec un objectif clair de réduction de la pénibilité. Dans cette démarche centrée sur l'humain, nous accordons une attention particulière à l’impact sociétal de nos travaux. Ainsi, nous faisons le choix de nous engager dans des projets alignés avec nos valeurs, en évitant par exemple les collaborations ayant un impact environnemental négatif ou à visée strictement militaire.
À titre personnel, j'aimerais que la robotique ait un impact moins néfaste sur l'environnement. Je suis consciente que cela peut sembler paradoxal, car nos robots consomment de l'énergie. Cependant, j'espère que nous parviendrons à concevoir des robots plus économes et durables, tout en répondant aux besoins de l'humain et en tenant compte des enjeux climatiques et des contraintes planétaires.
De quoi es-tu la plus fière dans ton travail ?
Je suis très fière du pouvoir de création qui nous est donné. En effet, en robotique, nous avons la chance de concrétiser la théorie scientifique en développant des prototypes physiques de robots, sur lesquels nous mettons en place des contrôleurs. C'est particulièrement gratifiant de pouvoir réaliser de belles démonstrations et de montrer le fruit de notre travail, que ce soit au grand public ou à des industriels.
Je suis également très fière de mes élèves. Transmettre ce métier, leur enseigner la méthodologie scientifique et leur transmettre la passion de la recherche est une grande satisfaction. Voir une jeune chercheuse ou un jeune chercheur commencer à se saisir de sa thématique de recherche et à prendre la main sur les orientations à lui donner est réjouissant.
As-tu eu une inspiration pour te lancer dans ce parcours ? Une figure motivante, un élément déclencheur ?
Je viens d’une famille de professeurs : mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents faisaient presque tous partie du corps enseignant donc j’ai grandi entourée de modèles inspirants dans le domaine de l’enseignement. Cependant, je ne pense pas avoir rencontré une personne en particulier qui m’aurait donné envie de faire de la recherche spécifiquement.
Quelles sont tes aspirations ou ambitions dans ce domaine pour la suite ?
Je veux continuer mon petit bonhomme de chemin. Pour être honnête, je n’ai pas trop d’aspirations de carrière, j’aimerais juste continuer de faire de la recherche avec des collègues sympas en orientant un peu plus mes recherches scientifiques vers un impact positif.
J’aimerais aussi être actrice et témoin des transformations plus globales du monde de la recherche. Participer, par exemple, à l’évolution des politiques publiques en soutien à ce domaine et à celui de l’enseignement. Il me semble également important d’améliorer les systèmes de publication et d’évaluation pour tendre vers des communications qualitatives, associées à des résultats et des données ouvertes. J’espère aussi des changements d’organisation à une plus petite échelle, pour améliorer la coordination de la communauté robotique par exemple et tendre ainsi vers un meilleur impact sur la société.
Tu évolues dans le monde de la recherche, plus précisément dans le domaine de la robotique qui est un domaine particulièrement masculin (ne serait-ce que dans ton équipe !). As-tu ressenti des difficultés à te faire une place ?
Au cours de mon parcours scolaire et universitaire, j’ai évolué dans un environnement très masculin, avec seulement deux filles pour une soixantaine d’étudiants. Cette expérience a certainement contribué à façonner mon caractère. Aujourd'hui, j’ai les ressources nécessaires pour faire face aux biais sexistes qui existent malheureusement dans le milieu de la recherche. Il m'arrive même, parfois, de mettre délibérément les pieds dans le plat lorsque je repère du sexisme autour de moi, je ne laisse pas passer de tels comportements.
Cela dit, je suis bien consciente de mes privilèges : je fais partie d'une équipe particulièrement bienveillante. Je n'ai pas vraiment été confrontée à des remarques déplacées au cours de ma carrière, je n’ai pas eu besoin de me « battre » pour obtenir ce poste… Cependant, même en l'absence d’obstacles évidents, il reste essentiel de s’imposer. Il ne faut pas hésiter à prendre la parole et à avoir une "grande gueule" quand c’est nécessaire.
Quelle est ta vision de la représentativité des femmes dans ces milieux ?
Il y a des femmes dans ces milieux, mais de manière plus générale, je trouve que leur visibilité, tout comme celle des minorités de genre et des personnes racisées, reste trop faible. Des initiatives existent pour mettre en avant des profils divers, mais il reste encore beaucoup à faire.
Il est crucial de valoriser des personnes issues de milieux différents. En termes de visibilité, il y a un immense travail à accomplir. Il faut réussir à déconstruire les biais dès le plus jeune âge, et cela passe notamment par la médiation et les images que l'on montre de la robotique, afin de la présenter comme une activité ouverte à toutes et tous et pas uniquement réservée aux hommes blancs.
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La visibilité des femmes, des minorités de genre et des personnes racisées reste trop faible.
Les questions de parité et d’inclusion sont importantes pour toi. Tu es investie autour de ces problématiques, quelles sont tes ambitions à ce sujet ?
Je suis convaincue que tout passe par l'éducation. Cela inclut l’apprentissage des mathématiques, de la mécanique etc, mais aussi une véritable éducation sociétale. Je fais partie du groupe de travail Parité-Égalité du Centre Inria de l’université de Bordeaux. Avec ce groupe, nous organisons des actions de prévention et de mise en valeur des parcours, ce qui est très important. Cela permet à nos publics de prendre conscience des biais existants et de nos privilèges. Il est temps de poser toutes ces questions sur la table.
D’après toi, qu’est-ce qui pourrait être mis en œuvre pour réduire l’écart femmes/hommes dans le domaine de la recherche ?
La médiation joue un rôle crucial. Je me suis rendue compte que les biais apparaissent très tôt. Même si la société évolue, elle est encore loin d’être parfaite. Il y a encore trop de petites filles qui croient que les domaines scientifiques sont réservés aux garçons. Il est essentiel de présenter nos travaux aux plus jeunes, dès le CP, pour leur montrer qu'on peut tout accomplir, quel que soit son genre.
Il existe également des actions locales à mettre en place, notamment dans le milieu professionnel, pour garantir que femmes et hommes travaillent dans les mêmes conditions. Je pense, par exemple, aux salles d’allaitement, à l’accès à des espaces de travail qui conviennent à tous et à toutes…
C’est une question complexe, car plus on veut agir, plus on se rend compte de l’ampleur de la tâche. Mettre en lumière des parcours est une bonne chose, mais cela ne suffit pas à éliminer les biais et les expliquer à des enfants peut être délicat. Peut-être que l’associatif, les petits groupes de soutien et de mentorat sont des solutions envisageables. Mais il est évident que le travail en amont doit être prioritaire.
Je pense également à la question des biais, qu’ils soient de genre, sociaux ou culturels. Par exemple, dans un environnement comme celui d’Inria, où les parcours sont souvent assez homogènes, il est important de favoriser la diversité des profils. J’ai en tête le cas d’un étudiant issu d’un autre contexte géographique et social, qui est intervenu dans son ancien lycée en banlieue parisienne. Son témoignage a eu un impact plus fort, justement parce qu’il incarnait un parcours concret et accessible. Ce type d’initiative contribue à créer des repères positifs et inspire des vocations auprès de jeunes qui ne se projettent pas toujours dans ces possibles.
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Peut-être que l’associatif, les petits groupes de soutien et de mentorat sont des solutions envisageables. Mais il est évident que le travail en amont doit être prioritaire.
Au cours de ta carrière, tu as été amenée à voyager aux USA. As-tu constaté des différences culturelles concernant les questions de parité dans le milieu scientifique ?
Quand je suis arrivée à Stanford pour mon postdoc, j’ai pu me rendre compte qu’il existait beaucoup de formations contre le harcèlement, les biais de genre ou encore les biais raciaux. D’un point de vue institutionnel je pense que là-bas la question est sur la table depuis plus longtemps. À l’époque de mes études à Stanford, c’était obligatoire de se former.
Est-ce qu’en dehors de la recherche tu as un passe-temps, une passion ?
Oui énormément ! Je fais beaucoup de musique, notamment du jazz. Je joue de la batterie et de la clarinette basse.
En ce moment j’ai aussi deux activités qui me prennent beaucoup de temps : j’ai un jardin dans lequel je plante des arbres un peu partout, j’ai créé un grand potager, construit un poulailler et des structures en bois… Je pratique aussi la menuiserie mais ça ressemble beaucoup à la robotique : j’aime bricoler et construire des objets, que ce soit des meubles en bois, ou des robots.
Tu construis des robots au travail, tu bricoles chez toi. Est-ce que tu parviens à trouver un équilibre entre ta vie professionnelle et tes passe-temps ?
Je parviens assez bien à couper et à me détacher du travail quand je n’y suis plus. Bien sûr, il y a toujours mes questions de recherche qui tournent dans un coin de ma tête mais quand je suis chez moi, je sais me consacrer à autre chose qu’au travail.
Après, il y a quand même un point commun entre mes travaux de recherche et mes passions, c’est la construction d’objets.
Quand je fabrique un meuble c’est de la conception mécanique et je retrouve les mêmes process quand je fabrique un robot. J’ai donc quand même un équilibre entre les compétences que j’utilise pour concevoir et créer, qu’importe le contexte.
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Quand je fabrique un meuble c’est de la conception mécanique et je retrouve ça quand je fabrique un robot.
Pour terminer, est-ce qu’il y a un conseil que tu voudrais partager avec les prochaines générations, notamment avec les lycéennes ou étudiantes en plein questionnement d’orientation scolaire ?
Il ne faut pas avoir peur de l’échec. Il faut essayer et être curieuse.
J’aurais aimé qu’on me dise plus tôt de trouver la thématique qui me plait et de foncer. Pour être chercheuse, il y a des études longues, tout un parcours académique, c’est parfois dur de se spécialiser mais il faut réussir à s’ouvrir au maximum pour trouver la thématique qui t’intéresse et te motive, quel que soit le domaine.
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Il ne faut pas avoir peur de l’échec. Il faut essayer et être curieuse.